Chaque année depuis 2016, une newsletter féministe publie un décompte symbolique : à une date donnée, les femmes entreraient dans une sorte de “travail gratuit”, pour illustrer l’écart salarial entre les sexes. En 2025, ce point de bascule tombe le 10 novembre à 11h31. Qu’est-ce que cela signifie ? Comment en est-on arrivé là ? Et quelles mesures sont envisagées pour corriger cette injustice ?
Cet article propose de revenir sur le concept, d’analyser les données sous-jacentes et de présenter les réformes à venir.
Le concept de “travail gratuit” : explication symbolique
L’idée est simple mais forte : si les inégalités salariales persistent, les femmes, à productivité égale, seraient “rémunérées” jusqu’à une certaine date — au-delà de laquelle leur travail deviendrait “gratuit”, par rapport au travail des hommes. En 2025, le seuil a été positionné au 10 novembre à 11h31, selon le calcul effectué par la newsletter, Les glorieuses. Ce décompte symbolique vise à sensibiliser : si les salaires étaient égaux, les femmes pourraient continuer à être payées jusqu’au 31 décembre.
Ce mode de représentation rend l’inégalité tangible et percutante. C’est une manière de faire ressentir l’ampleur du déséquilibre, presque comme une injustice visible dans le calendrier. L’écart se réduit lentement — l’an passé, cette date était le 8 novembre, ce qui témoigne d’une amélioration faible mais réelle. (cf. calculs et retours médiatiques sur le sujet)
Les données : quel écart salarial en France ?
Selon les chiffres disponibles, l’écart de rémunération pour un travail équivalent entre femmes et hommes est estimé à environ 13,9 % (selon les données de 2022 reprises dans les médias). Cela signifie que, en moyenne, les femmes perçoivent près de 86 % du salaire d’un homme effectuant le même travail — un déficit substantiel sur toute une année.
Cet écart varie selon les secteurs, les cadres ou la taille d’entreprise, et tend à se creuser encore davantage avec l’arrivée d’un enfant ou la progression de carrière.
Vers une législation contraignante : la directive européenne « transparence salariale »
Pour véritablement s’attaquer à ce problème, une directive européenne adoptée en mai 2023 (n° 2023/970) vise à imposer davantage de transparence aux employeurs. Elle doit être transposée dans le droit national d’ici le 7 juin 2026.
Concrètement, cette directive prévoit que les employeurs de plus de 250 salariés devront chaque année publier les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes. Pour les entreprises de 150 à 249 salariés, cette obligation sera triennale.
Dès 2031, le seuil pourrait descendre à 100 salariés pour élargir l’application.
La directive impose également un droit d’information aux salariés : ils pourront demander les critères de fixation des salaires, les niveaux moyens selon le genre dans des catégories comparables, et connaître leur position dans l’échelle salariale.
Si l’écart constaté dépasse 5 % et sans justification objective, l’employeur devra mener une évaluation des salaires avec les représentants du personnel et corriger le différentiel.
En France, cette directive vient compléter les dispositifs existants (index de l’égalité professionnelle, obligations d’existence de plans d’égalité) ; mais plusieurs acteurs (syndicats, associations, juristes) signalent que la transposition sera un chantier de longue haleine.
Propositions pour réduire les écarts
Pour faire reculer concrètement les inégalités salariales, plusieurs pistes sont régulièrement évoquées :
- Transparence salariale obligatoire : permettre aux salariées de savoir ce que perçoivent leurs homologues masculins, et aux entreprises d’être exposées à la pression de la justice sociale.
- Conditionner les marchés publics ou aides publiques à l’égalité salariale : les entreprises qui ne respectent pas les normes pourraient être pénalisées dans l’accès à ces ressources.
- Revaloriser les métiers à prédominance féminine : dire qui sont les secteurs où les femmes sont majoritaires (soins, enseignement, services), et leur donner une valeur équivalente aux métiers traditionnellement masculins.
- Congé parental équivalent : si les deux parents disposent d’un congé identique, cela diminuerait le désavantage lié à la maternité dans la trajectoire professionnelle, et encouragerait une meilleure répartition des responsabilités familiales.
Ces pistes ne sont pas nouvelles, mais le contexte législatif européen pourrait leur donner plus de force et de perspectives d’application concrète.
Le chiffre “10 novembre à 11h31” n’est pas qu’une statistique : il cristallise des décennies de résistances salariales, de compromis inégaux et de freins systémiques. Le fait que les femmes “travaillent gratuitement” symboliquement au-delà de cette date montre l’ampleur de l’obstacle restant à franchir.
La directive européenne à venir donne des outils concrets pour avancer, mais elle ne suffit pas. Le véritable changement dépendra aussi de la volonté des entreprises, de l’acceptation sociale de l’égalité salariale et de politiques publiques ambitieuses.
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