Le gouvernement albanais franchit un nouveau cap dans l’usage de l’intelligence artificielle (IA) en politique : après la nomination de Diella, une IA-« ministre », le Premier ministre annonce que cette dernière « attend » 83 « enfants » virtuels, autrement dit, 83 agents intelligents destinés à assister chacun des députés.
Cette annonce étonnante souligne à la fois l’ambition de modernisation et les enjeux éthiques, juridiques et politiques d’un tel dispositif.
Une IA-ministre pour la transparence des marchés publics
Qui est Diella ?
Depuis janvier 2025, Diella était active comme assistante virtuelle sur la plateforme publique e-Albania, aidant les citoyens à accomplir diverses démarches administratives. En septembre, elle est officiellement nommée « ministre d’État à l’intelligence artificielle » et placée à la tête des marchés publics.
Le Premier ministre albanais a présenté Diella comme « le premier membre du gouvernement qui n’est pas physiquement présent, mais créé virtuellement ».
Objectifs affichés et contexte
L’objectif affiché est fort : faire en sorte que les appels d’offres publics soient « 100 % exempts de corruption ».
Cette initiative s’inscrit dans le cadre de l’aspiration de l’Albanie à rejoindre l’Union européenne d’ici à 2030, un chemin qui passe notamment par la lutte contre la corruption et le renforcement de la transparence administrative.
Cependant, des voix critiques se sont déjà élevées : des parlementaires de l’opposition jugent la nomination de Diella « inconstitutionnelle » car non humaine et sans citoyenneté.
L’annonce des « 83 enfants » virtuels : symbolisme et implications
Qu’annonce le Premier ministre ?
Lors d’une conférence à Berlin, le Premier ministre a déclaré que Diella allait « donner naissance » à 83 agents intelligents, un pour chaque député de la majorité, afin de :
- assister les députés, même lorsqu’ils manquent les séances parlementaires ;
- tenir un registre de ce qui a été dit ou fait en leur absence ;
- les informer et leur suggérer des réponses si leur nom a été mentionné.
Cette métaphore de la « grossesse » s’avère être un dispositif numérique de support permanent.
Pourquoi ce choix ?
Selon les autorités, ces assistants contribueront à une gouvernance plus efficace :
- rendre les parlementaires plus informés, même en cas d’absence ;
- accroître la traçabilité des débats et décisions parlementaires ;
- renforcer le rôle de la majorité dans le suivi et la gestion de ses membres.
La figure de l’« enfant » virtuel incarne l’idée d’un assistant fidèle et disponible en permanence.
Enjeux et critiques
- Symbolique forte : cette annonce mélange métaphore (grossesse, naissance) et technologie, ce qui en fait à la fois un geste politique et un acte de communication.
- Questions juridiques et constitutionnelles : l’existence d’agents virtuels attachés aux députés alimente les interrogations sur l’autonomie parlementaire, la vie privée et la séparation des pouvoirs.
- Risques techniques et éthiques : qui contrôle ces assistants ? Quelles données traiteront-ils ? Quel est le rôle humain de supervision ?
- Effet politique et institutionnel : certains analystes voient dans cette mesure un outil de renforcement de la majorité et de centralisation du contrôle.
Gouvernance numérique : une innovation aux multiples visages
Vers un modèle de gouvernance assistée par IA
L’expérience albanaise montre comment une administration peut recourir à l’IA pour automatiser des tâches stratégiques, comme les appels d’offres, et étendre cette automatisation aux processus législatifs. Cela pose la question d’un modèle de « gouvernement augmenté ».
Risques de dérive et de dépendance technologique
L’intégration de l’IA à des fonctions politiques essentielles peut générer des dépendances technologiques, des failles de sécurité ou des effets inattendus : manipulation, biais algorithmiques, ou réduction de la responsabilité humaine.
Le besoin d’encadrement légal et démocratique
Pour que ce type d’innovation reste bénéfique, plusieurs conditions doivent être réunies :
- transparence sur les algorithmes et les données utilisées ;
- supervision humaine et auditabilité des décisions prises par l’IA ;
- respect des libertés fondamentales et du rôle du Parlement.
L’initiative de l’Albanie avec une ministre IA qui « attend 83 » assistants numériques est à la fois audacieuse et controversée.
Elle ouvre un nouveau chapitre de la gouvernance 2.0, mais pose aussi des questions fondamentales sur la nature des institutions, la responsabilité politique et le rôle de la technologie dans la démocratie.
L’enjeu n’est pas seulement technique, mais aussi social et éthique : comment combiner transparence, efficacité et valeur démocratique ?
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